stylistique- Les figures de pensée
Les figures de pensée :
Elles sont aussi appelés énonciatives, ou référentielles.
Il n’y en fait pas de marqueur indiscutable des figures de pensée, qu’il est donc difficile de repérer. Quand je dis « Une nuit épouvantable », je peux prendre cale dans un sens descriptif, ou bien dans un sens hyperbolique : « Une nuit ééépouvantaaable ». On comprendra alors qu’il s’agit d’une formulation normale ou d’une formulation hyperbolique par rapport au cotexte.
Ces figures sont liées à une attitude énonciative plus ou moins marquée, et à un décalage entre le discours et le référent qu’il vise. C’est au récepteur / lecteur d’opérer des interprétations.
L’hyperbole :
C’est une figure par sur-détermination : on en rajoute. Elle est fréquemment un marqueur de l’ironie, mais peut aussi s’employer dans des contextes sérieux, quand on essaie de frapper les esprits, auquel cas elle a un but de dramatisation. Le terme vient en fait d’un terme grec signifiant exagération, excès, emphase.
Elle vise à augmenter excessivement la quantité ou la qualité d’un phénomène en choisissant des mots disproportionnés par rapport au référent, à la réalité qu’ils désignent. Linguistiquement, elle opère une distorsion de la réalité, et la représentation de cette réalité peut produire plus d’impressions. Les mots gardent leur sens propre, mais sont utilisés en décalage par rapport à la réalité.
La plupart du temps, l’hyperbole se traduit par la mise en jeu de marqueurs linguistiques :
des indices lexicaux :
Le vocabulaire : des mots signifiants le plus haut degré de leur catégorie sémantique : « une nuit épouvantable » pour « une nuit médiocre », le terme est inadéquat ; des mots absolus : tout, seulement, uniquement ; des nombres qui symbolisent la grande quantité : « Je te l’ai dit cent fois », « faire les 400 coups », « faire mille et un détours » : c’est un nombre improbable qui marque la très grande quantité.
des indices morpho-syntaxiques :
Ils produisent les mêmes effets : des adjectifs comme rarissimes, etc, qui désignent le niveau extrême ; l’abondance des pluriels par visée hyperbolique ; l’utilisation de démonstratifs emphatiques : « Le gilet de flanelle, cette sauvegarde, ce tuteur de la santé, ce palladium chéri de Bouvard et inhérent à Pécuchet » : le démonstratif appuie sur les métaphores.
des indices proprement syntaxiques :
Ils font naître un effet d’intensité ou de quantité : le superlatif absolu « Un film carrément terrifiant » ; des comparatifs, surtout de supériorité ; des structures exclamatives, qui sont fréquemment hyperboliques ; des subordonnées de conséquence en « tant…que », « si… que » ; des infinitifs à valeur de conséquence, où le sens du verbe est exagéré : « bête à pleurer », « rire à s’en décrocher la mâchoire » ; la répétition, toujours hyperbolique, parfois renforcée par mais : « Il est bête, mais bête ! » ; les accumulations.
Il est assez difficile de pouvoir isoler une hyperbole. C’est en fait une séquence textuelle entière qui paraît hyperbolique, car elle combine différents marqueur. Il faut une combinaison pour avoir un texte hyperbolique.
L’ironie :
C’est une figure référentielle par discordance, qui passe souvent par l’hyperbole et l’antiphrase. Elle est un procédé stylistique majeur qui joue des divers niveaux d’énonciation d’un texte. Ce terme vient d’un mot grec qui veut dire : s’interroger sur, donc sur ce que veut dire le texte, sur le sens de l’énoncé. Quand je dis « Bravo ! » alors que quelqu’un vient de casser une assiette, je suis dans l’ironie.
Le sens basique de l’ironie est de tourner quelqu’un ou quelqu’un chose en dérision en ne donnant pas aux mots leur valeur habituelle ou en faisant entendre le contraire de ce que l’on dit explicitement.
C’est un processus complexe à détecter, et on peut passer à côté d’un texte de bout en bout ironique. L’énoncé ne porte en fait pas de marques de cette ironie, ou du moins aucune marque textuelle. Elle ne fonctionnera alors que si le destinataire la perçoit, et elle rate souvent sa cible.
Pour les textes littéraires, il faut une certaine complicité intellectuelle avec le destinataire, afin que l’ironie puisse être interprétée. Il y a de grands textes littéraires qui exploitent cette figure, comme L’esprit des lois, de Montesquieu, avec le passage sur l’esclavage, Candide, où « Tout va pour le mieux… », Les Provinciales, ainsi que de très nombreux textes de Le sens basique de l’ironie est de tourner quelqu’un ou quelqu’un chose en dérision en ne donnant pas aux mots leur valeur habituelle ou en faisant entendre le contraire de ce que l’on dit explicitement. Voltaire, de Beaumarchais, des fables de La Fontaine (où le régime autoritaire oblige le langage détourné pour éviter la censure), et Les lettres persanes.
L’ironie est une prise de distance de l’énonciateur par rapport à son énoncé : il se désolidarise du dit, et pratique donc la dissociation énonciative. C’est une parole indirecte qui court-circuite l’interprétation littérale au profit d’une réinterprétation à visée dévalorisante. Le processus est donc dialogique, puisqu’il exploite les différentes voix que peut faire entendre un énoncé.
Elle participe d’une stratégie offensive disqualifiant une cible par le détour d’une expression apparemment non marquée.
Cette figure met en jeu les deux pôles de la communication, à savoir destinateur et destinataire. Elle ne peut être perçue que grâce à la sagacité du récepteur, et pour que sa sagacité soit alertée il faut que l’ironie reste repérable. L’énonciateur propose des indices, des procédés annexes associés à l’ironie et qui permettent de la détecter :
des indices intonatifs, avec le ton, les mimiques, les gestes, cela se traduisant à l’écrit pas des guillemets, des italiques, des majuscules injustifiées, une ponctuation marquée. Ainsi, quand Flaubert parle de Progrès et de Civilisation, il met à distance par la majuscule la vision du dix-neuvième, qu’il tourne en ridicule ;
des procédés rhétoriques : l’antiphrase est le procédé le plus fréquemment utilisé ; la parodie ; les formules figées ; la fausse naïveté (Le Huron découvrant la religion dans Les caractères) ; l’hyperbole ; l’euphémisme ; la litote.
Repérer l’intention ironique consiste donc à repérer ces marqueurs d’ironie. S’il y a des signes graphiques, elle est aisément repérable, mais il n’en va pas de même pour les figures de pensée.
L’antiphrase est l’emploi d’un mot dans un sens contraire à son sens habituel. Il faut que le récepteur sache le sens habituel du terme (compétences linguistiques), mais aussi qu’il ait la compétence extra-linguistique de s’interroger sur le sens du mot ici : « C’est malin » = « Ce n’est pas malin du tout.
La parodie et l’imitation : pour que la visée ironique soit perçue, il faut que le récepteur connaisse parfaitement le modèle et qu’il perçoive l’intention de mise à distance de celui-ci. Le seul cas très agaçant où ce procédé ne rate jamais, c’est lorsque quelqu’un reprend immédiatement nos propos en nous singeant. Ce procédé est régulièrement utilisé par Molière ou Marivaux.
Les formules figées et la fausse naïveté procède du même esprit : on répété des banalités de café du commerce à propos d’une situation à laquelle elles ne sont pas adaptées. On fait surtout semblant de ne pas comprendre ce qui pose problème.
La litote :
C’est une figure par sous-détermination, dans l’exemple habituel est « Va, je ne te hais point ». On dit moins pour dire plus. Le terme vient du grec désignant l’atténuation. En fait, la litote consiste à nier le contraire de ce que l’on veut faire comprendre.
Chimène se sert donc de la négation du contraire de ce qu’elle éprouve pour exprimer ce qu’elle ne peut pas dire explicitement : « J’aime l’assassin de mon père ». Même si la négation est indispensable à la litote, elle n’en constitue pas pour autant une marque indiscutable, et la négation peut être interprétée dans un sens littéral : Chimène n’en veut pas à Rodrigue.
La litote est une figure de pensée qui fonctionne par la perspicacité du récepteur. La minimisation explicite a pour but d’amplifier une idée que l’on ne peut pas formuler clairement. Quand on dit « Cachez ce sein que je ne saurai voir » », on meurt d’envie de voir le sein.
Les expressions litotiques sont en fait très fréquentes dans le langage de tous les jours.
L’euphémisme :
C’est elle aussi une figure par sous-détermination, qui vient d’un mot grec désignant la bonne parole : l’euphémisme roule dans la farine par des bonnes paroles.
En tant que figure de pensée, il peut fonctionner en symétrie avec la litote (le trop peu), ou en symétrie avec l’hyperbole (trop).
Avec la litote : On nie la réalité inverse pour ne pas employer un mot trop cru : les non-voyants pour les aveugles. On cache la réalité, et on est dans le politiquement correct ;
Avec l’hyperbole, la proportion réelle de ce dont on parle est minimisée, pour masquer son importance : « les sans domicile fixe » n’ont pas de domicile du tout.
En fait, l’euphémisme cache au récepteur, ou même au producteur de l’énoncé, ce qu’une idée peut avoir de désagréable ou de choquant. C’est une forme de refus de la réalité, où on s’imagine masquer la chose en masquant le mot. Cette figure est caractéristique du 17ème siècle, enfermé dans son puritanisme religieux. Le discours technocratique actuel l’emploi aussi énormément, mais ce politiquement correct éclate parfois en morceaux.
Toutes ces figures de pensée ne peuvent être interprétées qu’à partir d’une lecture double de l’énoncé : une lecture littérale, production du sens habituel à chaque mot, et une lecture qui interprète, à partir de quelques indices proposés à la perspicacité du lecteur.
Il existe également des figures syntaxiques, comme l’oxymore, l’antithèse (opposition) ; l’anaphore, la périphrase, la gradation (amplification) ; l’anacoluthe, l’ellipse (par rupture) ; le chiasme, l’hypallage (« Mon pauvre ami, je suis bien à plaindre », où « je » est « pauvre », pas l’ami), l’hyperbate (par déplacement).
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