Linguistique : Rhétorique et stylistique (cours Amandine)
Les figures de sens :
Les figures de sens sont également appelées des tropes.
Elles sont définies par la présence d’une tension, d’un conflit entre un sens littéral et un sens discursif. Le sens littéral ne correspond pas au sens construit dans le discours : ex. : « C’est un minéral », pour décrire l’esclave vieil homme.
Ce sont souvent des figures lexicalisées dont on a même plus conscience, comme dans « le moment clé », « le cœur de laitue ». Il existe en fait une gradualité dans les figures : des figures usées dont on ne se rend plus compte en tant que figure, des figures habituelles, et des figures surprenantes. Par exemple, le verbe caracoler prend toujours place dans l’expression « caracoler en tête des sondages », expression dans laquelle on a oublié le sens premier du verbe, à savoir « aire des bonds, des sauts de-ci de-là », en parlant d’un cheval.
Il y a un transfert de signification d’un sens littéral à un sens discursif, et la relation entre le sens 1 et le sens 2 est la base des différents tropes.
Comparaison et métaphore, deux figures de l’analogie :
La comparaison et la métaphore procèdent d’une analogie, du glissement d’une notion ou d’un référent à l’autre. Le glissement de l’un à l’autre est achevé dans la métaphore alors qu’il ne l’est pas dans la comparaison, puisque dans celle-ci les deux entités sont posées de façon distinctes, ce qui est souligné par les outils comparatifs.
La comparaison et la métaphore sont en fait deux processus différents, puisque la comparaison relève d’un « être comme », alors que la métaphore est un « être pour » (pour moi, c’est un porc). Ces deux figures ont été associées en rhétorique à partir de Quintilien, qui dit que la métaphore est une comparaison abrégée, une comparaison sans outils comparatif.
Cette perspective a deux conséquences : la métaphore est une comparaison dont la seule spécificité est l’effacement du « comme », ce qui interdit toute prise en compte d’un référenciation, d’une construction du réel par la métaphore.
La métaphore et la comparaison sont traitées comme proches alors que la comparaison n’implique jamais un transfert de sens, et que la métaphore, au contraire, au regard des réglages conventionnels, implique un transfert de sens effectué
La comparaison, une analogie explicitée :
C’est une mise en relation, un parallèle explicite entre un comparé et un comparant. L’explicitation de la relation est effectuée au moyen d’outils comparatifs (comme, ainsi que, pareil à, semblable à, etc).
Un moyen-terme entre la comparaison et la métaphore est l’utilisation de verbes modalisateurs (sembler, avoir l’air) qui permettent d’introduire une subjectivité énonciative. Quand on dit « L’avion file comme un oiseau », c’est une comparaison, alors que « L’avion semble un oiseau » implique : « pour moi ».
La comparaison canonique comporte trois éléments : un comparé (le conducteur), un comparant (le porc), un outils comparatif. Dans « Paul est gai comme un pinson », gai est le motif commun qui permet d’analogiser comparant et comparé ; ce motif commun peut être exprimé ou absent. Quand le motif est présent, on parle de métaphore in praesentia, alors que l’on parle de métaphore in absentia quand il n’est pas exprimé.
La comparaison peut avoir diverses fonctions :
fonction ornementale, esthétique : discours poétique, description : on cherche à faire joli ;
fonction argumentative : elle aide à une démonstration et a alors une valeur de vérité : elle fait partie des lieux communs ;
construction d’un monde imaginaire.
La comparaison est actuellement en perte de vitesse dans la littérature, où l’on préfère employer la métaphore, alors qu’elle était la figure par excellence des 17 et 18ème siècles par exemple. Par contre, elle est partie intégrante du discours oral, où elle favorise l’expressivité.
La métaphore, une construction personnelle du monde :
Dans le système rhétorique, la métaphore est, selon, la définition de Fontanier, un trope, une figure de sens, qui consiste à « présenter sous le signe d’une autre idée plus frappante ou plus connue qui d’ailleurs ne tient à la première par aucun autre lien que celui d’une certaine conformité ou analogie ». On voit donc qu’ici c’est un trope qui se fait par ressemblance, ce qui rejoint Quintilien et sa « similitudo brevior », et que de plus la base la métaphore est une comparaison.
Toujours selon cette définition, et contrairement à la métonymie et à la synecdoque, deux figures isotopiques, la métaphore effectue un rapprochement entre deux domaines notionnels, et est donc une figure allotopiques.
On regroupe en fait sous un même nom, métaphore, deux processus différents : la métaphore in praesentia et la métaphore in absentia.
Métaphore in absentia :
Il y a effacement complet du comparé, et elle relève donc de l’énigme, elle demande un exercice intellectuel de reconstruction. Ainsi, dans les deux vers :
« Ce toit tranquille où marchent des colombes
Entre le pins palpite, entre les tombes »
On a deux difficultés à comprendre de quoi il s’agit. En fait, le toit désigne la mer, puisque Valéry dit ailleurs que, pour qui sait regarder « La mer est debout au fond des yeux », et est donc un mur qui s’impose, une pure verticalité (où Valéry essaie donc de retrouver la vision primitive des choses, sur laquelle on applique du savoir : la mer est horizon, ligne, platitude, puisqu’il dit également que « Nous ne savons plus voir ce que nous voyons »). Les colombes désignent elles les bateaux, puisque les barques, blanches, apparaissent très loin du Mont Saint Claire, et qu’elles épousent le mouvement de la mer et en « picorent » la surface.
On voit ici que la métaphore est le rendu d’une expérience corporelle et personnelle par laquelle le corps parle.
Métaphore in praesentia :
Le comparé et le comparant entretiennent une relation cotextuelle, comme dans ce vers de Cendrars « En Flandres le soleil est un fumeux quinquet », où un quinquet est un fanal.
On peut également relever des vers d’Apollinaire :
« Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin »
« Soleil cou coupé »
Le cou coupé est en fait un minuscule oiseau africain au ramage rouge, qui la particularité de voler en pure verticalité : il s’élève ainsi dans le ciel comme le soleil matinal sur Paris. Le dire est ici rattaché à du vécu historique, avec la guillotine, comme Eco était rattaché à son vécu personnel d’italien à Paris dans son explications des vers de Valéry, dont il disait que la mer au soleil était grise comme les toits d’ardoise français, d’où la comparaison, alors qu’il n’y a pas de toits d’ardoise dans le sud.
La métaphore in praesentia peut présenter différents schémas syntaxiques :
structure attributive : « La nature (N1) est (verbe attributif) un temple (N2)… » ;
structure appositive : « Bergère, ô tour Eiffel… » ;
structure déterminative : « Le troupeau (N1) des (de) ponts (N2) ».
Effets de sens de la métaphore :
Elle abolit les catégories classiques, elle recatégorise les évènements du monde et n’a donc absolument rien à voir avec la comparaison : c’est de l’ « être pour » et non pas de l’ « être comme ». On ne peut pas la traiter comme une figure de l’analogie.
Le passage peut se faire entre différentes catégories :
du non humain à l’humain, ou l’inverse : « Un troupeau de vieillards jacasseurs (pies) lents (bœufs) et doux. » ; « La champignonnière des figures écarquillées. » (« écarquillées » est une synecdoque) ; « Le feu dans l’âtre soufflait et usait ses griffes rouge contre le chevron de la soupe. », « Quand il a les mains… c’est un arbre. » ; « C’est un minéral de patiences infinies » ;
du concret à l’abstrait, ou l’inverse : « l’âme des pieds » pour les violons ; « le conseiller des grâces » pour le miroir ; « les feux de l’amour »,… Ce système est très courant dans le vocabulaire précieux.
Les synesthésies : C’est une association de sensations différentes, et donc une métaphore poussée à l’extrême, comme dans ces vers de Rimbaud où se mêle odorat, goût et vue, et qui créent une réelle métamorphose du réel, comme une nouvelle cosmogonie rimbaldienne :
« Il écoute chanter leurs haleines craintives Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés. »
La métaphore filée : C’est une métaphore qui se prolonge au-delà de la phrase, comme dans Le bateau ivre, où la métaphore maritime, annoncé dans le titre même, va jusqu’à la fin du poème.
« Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames, Enlever leurs sillages aux porteurs de cotons, Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes, Ni nager sous les yeux horribles des pontons. »
Fonctions de la métaphore :
Une fonction d’ordre poétique : elle est la grande figure de l’imaginaire poétique du vingtième siècle, alors qu’elle est bannie de la langue classique qui lui préfère la synecdoque et la métonymie. Elle se retrouve particulièrement chez les surréalistes ;
Une fonction expressive : elle est très présente dans le discours quotidien, surtout en argot, où elle permet alors de dire une réalité de la façon dont on la voit ;
Une fonction cognitive : Dans les discours scientifiques, totalement métaphorique, elle sous-tend une grande partie de notre façon de conceptualiser les évènements. Cela se retrouve aujourd’hui dans le vocabulaire de l’informatique, qui est concrétisé par l’emploi de la métaphore : souris, bureau, menu, fenêtre,…
Remarques sur la métaphore :
Une métaphore usée tombe dans le fond commun de la langue, et perd son caractère inédit, comme par exemple « Au cœur de », « la clé du problème »…
La catachrèse : elle permet de combler un trou de la langue : la métaphore désigne alors une chose pour laquelle on a aucun mot : les ailes du moulin, de la voiture, du nez ; la feuille de papier ; un pied de table.
Le cliché : certaines métaphores deviennent des clichés, tel « l’or des blés », « le moutonnement des vagues », « le manteau de neige. »
Autre figures de l’analogie :
Allégorie et prosopopée :
L’allégorie personnifie une idée abstraite et la met en scène. Elle a toujours une portée symbolique, comme quand Baudelaire dit « Ma douleur, donne-moi la main… ». Elle est très courante au 16ème et 17ème siècles, tout comme au Moyen Âge, où un livre comme
Le roman de la rose est entièrement fondé sur elle. D’Aubigné l’utilise également, mettant notamment en scène la Justice, dans Les tragiques.
La prosopopée fait parler une abstraction, qu’on a précédemment personnifié. C’est en fait une métaphore initiale, qu’on rend plus vivante en lui donnant la parole. La matérialisation du concept passe alors par l’allégorie et ce concept est actualisé par la parole.
Métonymie et synecdoque :
En rhétorique habituelle, ce sont deux figures proches. Ces deux tropes reposent sur des relations réelles entre référent et signe ; ainsi, le signe « voile » fait partie du référent « bateau ». Il y a un rapport réel entre les deux éléments convoqués.
C’est alors la nature de la relation qui est différente, selon que l’on est une métonymie ou une synecdoque. Le rapport métonymique est un rapport de contiguïté, tandis que le rapport synecdochique est un rapport d’inclusion.
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Quand on dit « boire une bonne bouteille », il s’agit d’une métonymie : on boit le vin, le contenu. Quand on dit « acheter une bonne bouteille », il s’agit d’une synecdoque : on achète contenu et contenant.
Fontanier dit alors que ces figures instaurent un rapport « de correspondance, de connexion, ou de ressemblance ». La métonymie et la synecdoque sont des connexions.
La métonymie :
Fontanier définit la métonymie comme une « désignation d’un objet par le nom d’un autre objet qui fait comme lui un tout absolument à part mais qui lui doit ou à qui il doit lui-même plus ou moins ou pour son existence ou par sa manière d’être. »
Les deux réalités qui fondent la métonymie sont donc autonomes : on dit l’une pour dire l’autre, et c’est donc une façon oblique de s’exprimer. La métonymie est le glissement logique d’une réalité à une autre. La distorsion peut se faire selon différents types de glissement logique :
l’effet pour la cause : trembler pour avoir peur ; refroidir quelqu’un pour tuer ;
la cause pour l’effet (c’est plus rare) : ses bontés pour ses actes de bonté ;
le signe pour la chose : ployer sous les lauriers pour désigner la victoire ; le trône pour le roi ou la monarchie ; la couronne ou le sceptre pour le pouvoir royal ; le drapeau tricolore pour la France ; le sabre et le goupillon pour l’armée et l’église, ainsi que Le rouge et le noir ; Le lys dans la vallée pour la femme ;
l’antonomase : un nom propre pour un nom commun : un tartuffe (archétype de l’hypocrisie), un don juan, une Célimène (la coquette épouvantable) ; le lieu pour les personnes ou les objets : Londres a dit que…, Un bon bourgogne ; un nom commun devenu nom propre : le Roi Soleil, la Vierge, Dieu ;
la qualité pour l’objet : une vraie beauté pour une belle fille ;
le contenant pour le contenu : une bonne bouteille, prendre un verre ;
l’instrument pour la personne : le premier violon était malade, un bon fusil pour un bon chasseur, une bonne fourchette pour un gros mangeur ;
le contenu pour le contenant : la ville est tranquille pour les habitants sont tranquilles.
La synecdoque :
Fontanier la traite comme « la désignation d’un objet par le nom d’un autre objet avec lequel il forme un ensemble, un tout ou physique ou métaphysique. C’est un trope par lequel on dit le plus pour le moins ou le moins pour le plus. »
Une synecdoque peut correspondre à un mouvement de particularisation :
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le singulier pour dire le pluriel, un exemplaire d’un tout pour dire le tout : « La française est coquette », « Il a terrassé l’ennemi » ;
la partie pour le tout : « Et les voiles au loin descendaient vers Harfleur. » ; « Un arbre, par-dessus les toits berce sa palme. » On interprète habituellement ces deux phrases comme des synecdoques. Cependant, cela peut être aisément remis en question. En fait, la voile est la seule chose saillante dans le paysage, et exprime donc le point de vue du personnage ; ce n’est en aucun cas une jolie figure, mais seulement une construction du point de vue de l’énonciateur sur le monde. De la même façon, Verlaine, en prison, ne voit qu’une des branches de l’arbre, dans son petit fenestron : c’est donc sa vision du monde, là encore par l’élément saillant, qui est construite, et non pas une figure. On est alors en droit de se demander s’il existe de vraies synecdoques. On trouve de nombreux exemples dans la littérature classique, mais ils peuvent toujours être interprétés différemment : « J’ignore le destin d’une tête si chère. », « avoir un toit » pour « une maison », « mon sang » pour « mon fils ».
Une synecdoque peut également correspondre à un mouvement de généralisation :
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le tout pour la partie : La France a décidé de… ;
la matière pour le produit ou l’objet : investir dans la pierre (l’immobilier), le fer pour l’épée, l’argent pour la pièce en argent :
le terme générique pour dire le spécifique : les ruminants sont dans le pré ; pour les vaches.
Motif de l’utilisation de ces deux figures :
Elles ne sont pas le reflet d’une créativité, car sont seulement un transfert limité entre deux domaines notionnels proches. On oublie en fait qu’il s’agit de figure quand on dit « Viens prendre un verre ». Si tant est qu’on les appelle « figures », elles sont extrêmement codées et ne demandent aucun effort de compréhension, puisqu’elles avoisinent souvent le cliché ou la catachrèse. Bien que la littérature contemporaine préfère la métaphore, la synecdoque et la métonymie sont des grandes figures de la langue classique.
Ces figures permettent des effets discursifs variés. Ainsi, dans l’exemple « Par ennui, il suivit un jupon qui passant dans la rue », il y a une forte visée dévalorisante où la femme n’est prise en compte que pour son corps.
Elles peuvent également avoir une visée dramatisante, comme quand l’on désigne un dealer sous le nom de « marchant de drogue ».
Enfin, la métonymie et la synecdoque effectuent une manipulation de la réalité, puisque la rapport manifesté est un rapport de chose à chose, et non pas de concept à concept : ce ne sont donc pas des figures sémantiquement complexes.
L’adjectif pour synecdoque est synecdochique.
Paul Valéry, Le cimetière marin
Voir le dernier vers du poème : « Ce toit tranquille où picoraient des focs! »
Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France
Premier et dernier vers du poème Zone, introducteur du recueil Alcools
Victor Segalen, Equipée.
« La curiosité chinoise donne envie de cracher à travers la champignonnière des figures écarquillées. », Victor Segalen, texte cité.
Jean Giono, Regain.
Patrick Chamoiseau, L’esclave vieil homme et le molosse.
Arthur Rimbaud, Les chercheuses de poux
Charles Baudelaire, Recueillement.
Quand le nom s’écrit avec une minuscule, il est passé dans le langage commun, et peut donner un nom, comme le donjuanisme. Quand il a encore sa majuscule, c’est qu’il n’est pas encore banalisé : une Célimène ne s’emploie que dans un milieu littéraire.
Victor Hugo, Demain, dès l'aube..., dans Les Contemplations.
Paul Verlaine, Sagesse.
Jean Racine, Phèdre.
On peut par exemple considérer ici, dans un contexte 17ème, l’importance de la filiation, notamment avec le droit d’aînesse, etc.
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