jeudi 8 mai 2008

morpho-syntaxe- le discours rapporté

LE DISCOURS RAPPORTE :

C’est une question importante, puisqu’elle a des implications dans la syntaxe de la phrase, une place fondamentale dans l’analyse stylistique, et qu’elle est la dimension la plus visible de la polyphonie, du dialogisme (c’est la même chose dans un roman).

Rappels préalables sur l’énonciation : c’est l’acte de produire un ensemble de signes que l’on va appeler un énoncé. Il est produit par l’énonciateur et reçu par l’énonciataire.
Il ne faut pas confondre énonciateur et locuteur : l’énonciateur, dans Bouvard et Pécuchet, est le narrateur, celui qui gère le récit, puis il y a de nombreux locuteurs qui assument des paroles, principalement Bouvard et Pécuchet. L’énonciateur n’est jamais le locuteur, si ce n’est de l’ensemble du texte. Ainsi, Flaubert est l’énonciateur narrateur qui rapporte les voix des locuteurs ; il y a donc double énonciation, celle du narrateur et celle des personnages.
Le narrateur, ou instance narrante, est la voix qui assume un récit fictionnel. Il n’est pas identifiable avec l’auteur. Ainsi, Balzac est ultraconservateur mais ses narrateurs peuvent avoir d’autres positions politiques. Par un effet de réel, on est tenté de penser que le « je » renvoie à l’auteur, comme dans Jacques le fataliste, avec les interventions du narrateur à la première personne.
Enoncé enchâssant et discours rapporté : le discours rapporté est un énoncé enchâssé, et l’énonce enchâssant englobe ce discours rapporté. Bakhtine, dans Esthétique et théorie du roman, parle de dialogisme : le discours rapporté est l’enchâssement dans l’énoncé assumé par un premier énonciateur (E, énonciateur enchâssant) d’un énoncé d’un autre locuteur (e, énonciateur enchâssé). Dans un roman, E sera le narrateur, et e la voix d’un personnage ; quand un personnage rapporte la voix d’un autre, on a e’. Au théâtre, il y a plusieurs énonciateurs E juxtaposés.

Il y a des discours extériorisés, discours rapportés : « Paul dit que… », et des discours intérieurs, énoncés enchâssés n’existant pas nécessairement à l’oral : « Paul pensait que… ».
Il existe en fait différents types de discours rapportés, avec beaucoup de possibilités :
le DD : discours enchâssé en juxtaposition avec le discours enchâssant ;
le DI : succession de deux énonciations, l’une étant subordonnée à l’autre : « Paul dit que… » ;
le DIL et le DDL : E intègre à son discours le contenu de e sans préciser qu’il s’agit de e ; il y a fusion des voix ;
le discours narrativisé : E donne une représentation globale de la parole de e : « Bouvard et Pécuchet discutaient. » : on sait qu’il y a énonciation de e, mais on n’en connaît pas le contenu.

Le discours indirect :
Il a deux caractéristiques discriminatoires :
la présence d’un verbe de paroles ou de pensées qui va introduire un acte d’énonciation. Dire sera très neutre, tandis que prétendre marquera un positionnement du narrateur ;
la présence d’un complément de ce verbe : beaucoup de propositions subordonnées en que, mais aussi des infinitifs (« Monseigneur ordonna au curé de se tenir tranquille », à la frontière avec le discours narrativisé), ou même des phrases du type « Bouvard déclara ses bibelots stupides », là aussi à la frontière avec le discours narrativisé, puisqu’on ne sait pas la forme exacte qu’ont pris les propos de Bouvard.

D’un point de vue grammatical, les marques des personnes, de l’espace et du temps ne sont pas celles de e mais celles de E. Ces marques sont en fait transposées dans le cadre énonciatif de E, cadre qui sert de repérage pour les deux discours : « Paul a dit : « Je viendrai ici demain » » ; « Paul a dit qu’il viendrait là le lendemain. »
De plus, le discours indirect unifie les registres de langue : il gomme les interjections, et les mots employés vont correspondre à l’idiolecte de l’énonciateur enchâssant.

Le discours direct :
Il est la forme la plus marquée du discours rapporté, dans la mesure où le DD est marqué par des tirets, des guillemets, parfois des italiques, et qu’il conserve son système énonciatif propre, qui va alors s’opposer à celui du narrateur.
Le roman présente un enchaînement des tours de parole. Il n’y a pas forcément de phrase rectrice introduisant le DD (du type : « Il dit : « … »), ce qui allège le dialogue. Par contre, les tirets et les guillemets sont obligatoirement présents.
Le discours direct est formellement autonome par rapport au discours enchâssant, et une rupture de registre est possible entre ces deux discours.

Le discours indirect libre :
C’est une configuration discursive qui correspond aux marques du DI sur le plan temporel et personnel, mais un DI dont on aurait supprimé la proposition rectrice. Ainsi, dans L’éducation sentimentale, il est écrit que Frédéric, quand il rencontre Mme Arnoux, « aurait voulu connaître… » : on ne sait pas s’il s’agit de la voix du narrateur ou de celle de Frédéric.
Dans L’éducation sentimentale toujours, on trouve : « Mademoiselle n’était pas sage, bien qu’elle eut sept ans bientôt. », qui sont les paroles rapportées de la gouvernante à la fille de Mme Arnoux ; le DD donnerait : « Mademoiselle, vous n’êtes pas sage, bien que vous ayez sept ans bientôt. »
On voit qu’il n’y a pas de rupture sur le plan formel avec le récit romanesque, et on doit donc se demander qui parle quand on a affaire à du DIL.
Dans un discours indirect avec « que », on ne conserve pas les marques affectives du DD (exclamations, interjections), traces énonciatives du locuteur cité que l’on conserve avec le DIL, ce qui lui confère une grande souplesse.
Le DIL dans le texte au présent implique une modification des pronoms personnels et possessifs qui sont transposés dans le cadre énonciatif du locuteur citant : « Elle veut tout savoir de ma maladie. Suis-je vraiment rétabli ? Ai-je revu le docteur ? Caroline a-t-elle su m’entourer sans trop m’encombrer de sa présence ? » donnerait en DD : « Es-tu vraiment rétabli ? etc ».
Le discours indirect libre est abondamment utilisé en littérature moderne, et il crée de vertigineux effets pluri vocaux.

Le discours direct libre :
Il est encore plus utilisé en littérature moderne, et est encore plus complexe. Formellement, c’est un discours direct non marqué, sans propositions introductrice et sans marques typographiques isolant l’énoncé. Il y a juxtaposition pure de deux systèmes sans aucun marqueur. Les repères temporels ne vont pas coïncider, ni les repères personnels. Pour le reconnaître, il faut essayer de mettre des guillemets et voir si cela est possible. « (…) lui demanda ce qu’elle faisait là toute seule et ce qu’elle avait à pleurer. Hélas, monsieur, ma mère m’a chassée du logis. » : c’est du discours direct libre où l’identité de l’énonciateur n’est pas trop difficile à déchiffrer.
Bouvard et Pécuchet : « Ils consultèrent le guide du voyageur géologue par Bonnet. Il faut avoir premièrement un bon havresac de soldat, puis une chaîne d’arpenteur… » : on ne sait pas si ce sont les mots exacts du guide ou Bouvard et Pécuchet qui rapportant. On peut même entendre la voix du narrateur E.

L’îlot textuel :
C’est le fait d’isoler par des guillemets ou des italiques un mot ou un syntagme de e dans son E.

La modalisation en discours second :
C’est une appellation qui regroupe des formes grammaticales ayant pour effet d’indiquer la parole d’un autre énonciateur :
MDS sur le contenu : « Jean aurait fait une longue promenade » ; « Jean a fait une longue promenade, selon Pierre » ; « Jean a fait une longue promenade, paraît-il » ; « Il paraît que Jean a fait une longue promenade » ;
MDS sur l’expression : « Jean a « vadrouillé », comme on dit. »





Troyat.
Perrault, Les fées.

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stylistique- Les figures de pensée

Les figures de pensée :

Elles sont aussi appelés énonciatives, ou référentielles.
Il n’y en fait pas de marqueur indiscutable des figures de pensée, qu’il est donc difficile de repérer. Quand je dis « Une nuit épouvantable », je peux prendre cale dans un sens descriptif, ou bien dans un sens hyperbolique : « Une nuit ééépouvantaaable ». On comprendra alors qu’il s’agit d’une formulation normale ou d’une formulation hyperbolique par rapport au cotexte.
Ces figures sont liées à une attitude énonciative plus ou moins marquée, et à un décalage entre le discours et le référent qu’il vise. C’est au récepteur / lecteur d’opérer des interprétations.

L’hyperbole :
C’est une figure par sur-détermination : on en rajoute. Elle est fréquemment un marqueur de l’ironie, mais peut aussi s’employer dans des contextes sérieux, quand on essaie de frapper les esprits, auquel cas elle a un but de dramatisation. Le terme vient en fait d’un terme grec signifiant exagération, excès, emphase.
Elle vise à augmenter excessivement la quantité ou la qualité d’un phénomène en choisissant des mots disproportionnés par rapport au référent, à la réalité qu’ils désignent. Linguistiquement, elle opère une distorsion de la réalité, et la représentation de cette réalité peut produire plus d’impressions. Les mots gardent leur sens propre, mais sont utilisés en décalage par rapport à la réalité.

La plupart du temps, l’hyperbole se traduit par la mise en jeu de marqueurs linguistiques :
des indices lexicaux :
Le vocabulaire : des mots signifiants le plus haut degré de leur catégorie sémantique : « une nuit épouvantable » pour « une nuit médiocre », le terme est inadéquat ; des mots absolus : tout, seulement, uniquement ; des nombres qui symbolisent la grande quantité : « Je te l’ai dit cent fois », « faire les 400 coups », « faire mille et un détours » : c’est un nombre improbable qui marque la très grande quantité.
des indices morpho-syntaxiques :
Ils produisent les mêmes effets : des adjectifs comme rarissimes, etc, qui désignent le niveau extrême ; l’abondance des pluriels par visée hyperbolique ; l’utilisation de démonstratifs emphatiques : « Le gilet de flanelle, cette sauvegarde, ce tuteur de la santé, ce palladium chéri de Bouvard et inhérent à Pécuchet » : le démonstratif appuie sur les métaphores.
des indices proprement syntaxiques :
Ils font naître un effet d’intensité ou de quantité : le superlatif absolu «  Un film carrément terrifiant » ; des comparatifs, surtout de supériorité ; des structures exclamatives, qui sont fréquemment hyperboliques ; des subordonnées de conséquence en « tant…que », « si… que » ; des infinitifs à valeur de conséquence, où le sens du verbe est exagéré : « bête à pleurer », « rire à s’en décrocher la mâchoire » ; la répétition, toujours hyperbolique, parfois renforcée par mais : « Il est bête, mais bête ! » ; les accumulations.

Il est assez difficile de pouvoir isoler une hyperbole. C’est en fait une séquence textuelle entière qui paraît hyperbolique, car elle combine différents marqueur. Il faut une combinaison pour avoir un texte hyperbolique.

L’ironie :
C’est une figure référentielle par discordance, qui passe souvent par l’hyperbole et l’antiphrase. Elle est un procédé stylistique majeur qui joue des divers niveaux d’énonciation d’un texte. Ce terme vient d’un mot grec qui veut dire : s’interroger sur, donc sur ce que veut dire le texte, sur le sens de l’énoncé. Quand je dis « Bravo ! » alors que quelqu’un vient de casser une assiette, je suis dans l’ironie.
Le sens basique de l’ironie est de tourner quelqu’un ou quelqu’un chose en dérision en ne donnant pas aux mots leur valeur habituelle ou en faisant entendre le contraire de ce que l’on dit explicitement.

C’est un processus complexe à détecter, et on peut passer à côté d’un texte de bout en bout ironique. L’énoncé ne porte en fait pas de marques de cette ironie, ou du moins aucune marque textuelle. Elle ne fonctionnera alors que si le destinataire la perçoit, et elle rate souvent sa cible.
Pour les textes littéraires, il faut une certaine complicité intellectuelle avec le destinataire, afin que l’ironie puisse être interprétée. Il y a de grands textes littéraires qui exploitent cette figure, comme L’esprit des lois, de Montesquieu, avec le passage sur l’esclavage, Candide, où « Tout va pour le mieux… », Les Provinciales, ainsi que de très nombreux textes de Le sens basique de l’ironie est de tourner quelqu’un ou quelqu’un chose en dérision en ne donnant pas aux mots leur valeur habituelle ou en faisant entendre le contraire de ce que l’on dit explicitement. Voltaire, de Beaumarchais, des fables de La Fontaine (où le régime autoritaire oblige le langage détourné pour éviter la censure), et Les lettres persanes.

L’ironie est une prise de distance de l’énonciateur par rapport à son énoncé : il se désolidarise du dit, et pratique donc la dissociation énonciative. C’est une parole indirecte qui court-circuite l’interprétation littérale au profit d’une réinterprétation à visée dévalorisante. Le processus est donc dialogique, puisqu’il exploite les différentes voix que peut faire entendre un énoncé.
Elle participe d’une stratégie offensive disqualifiant une cible par le détour d’une expression apparemment non marquée.
Cette figure met en jeu les deux pôles de la communication, à savoir destinateur et destinataire. Elle ne peut être perçue que grâce à la sagacité du récepteur, et pour que sa sagacité soit alertée il faut que l’ironie reste repérable. L’énonciateur propose des indices, des procédés annexes associés à l’ironie et qui permettent de la détecter :
des indices intonatifs, avec le ton, les mimiques, les gestes, cela se traduisant à l’écrit pas des guillemets, des italiques, des majuscules injustifiées, une ponctuation marquée. Ainsi, quand Flaubert parle de Progrès et de Civilisation, il met à distance par la majuscule la vision du dix-neuvième, qu’il tourne en ridicule ;
des procédés rhétoriques : l’antiphrase est le procédé le plus fréquemment utilisé ; la parodie ; les formules figées ; la fausse naïveté (Le Huron découvrant la religion dans Les caractères) ; l’hyperbole ; l’euphémisme ; la litote.
Repérer l’intention ironique consiste donc à repérer ces marqueurs d’ironie. S’il y a des signes graphiques, elle est aisément repérable, mais il n’en va pas de même pour les figures de pensée.

L’antiphrase est l’emploi d’un mot dans un sens contraire à son sens habituel. Il faut que le récepteur sache le sens habituel du terme (compétences linguistiques), mais aussi qu’il ait la compétence extra-linguistique de s’interroger sur le sens du mot ici : « C’est malin » = « Ce n’est pas malin du tout.
La parodie et l’imitation : pour que la visée ironique soit perçue, il faut que le récepteur connaisse parfaitement le modèle et qu’il perçoive l’intention de mise à distance de celui-ci. Le seul cas très agaçant où ce procédé ne rate jamais, c’est lorsque quelqu’un reprend immédiatement nos propos en nous singeant. Ce procédé est régulièrement utilisé par Molière ou Marivaux.
Les formules figées et la fausse naïveté procède du même esprit : on répété des banalités de café du commerce à propos d’une situation à laquelle elles ne sont pas adaptées. On fait surtout semblant de ne pas comprendre ce qui pose problème.

La litote :
C’est une figure par sous-détermination, dans l’exemple habituel est « Va, je ne te hais point ». On dit moins pour dire plus. Le terme vient du grec désignant l’atténuation. En fait, la litote consiste à nier le contraire de ce que l’on veut faire comprendre.
Chimène se sert donc de la négation du contraire de ce qu’elle éprouve pour exprimer ce qu’elle ne peut pas dire explicitement : « J’aime l’assassin de mon père ». Même si la négation est indispensable à la litote, elle n’en constitue pas pour autant une marque indiscutable, et la négation peut être interprétée dans un sens littéral : Chimène n’en veut pas à Rodrigue.

La litote est une figure de pensée qui fonctionne par la perspicacité du récepteur. La minimisation explicite a pour but d’amplifier une idée que l’on ne peut pas formuler clairement. Quand on dit « Cachez ce sein que je ne saurai voir » », on meurt d’envie de voir le sein.
Les expressions litotiques sont en fait très fréquentes dans le langage de tous les jours.

L’euphémisme :
C’est elle aussi une figure par sous-détermination, qui vient d’un mot grec désignant la bonne parole : l’euphémisme roule dans la farine par des bonnes paroles.
En tant que figure de pensée, il peut fonctionner en symétrie avec la litote (le trop peu), ou en symétrie avec l’hyperbole (trop).
Avec la litote : On nie la réalité inverse pour ne pas employer un mot trop cru : les non-voyants pour les aveugles. On cache la réalité, et on est dans le politiquement correct ;
Avec l’hyperbole, la proportion réelle de ce dont on parle est minimisée, pour masquer son importance : « les sans domicile fixe » n’ont pas de domicile du tout.
En fait, l’euphémisme cache au récepteur, ou même au producteur de l’énoncé, ce qu’une idée peut avoir de désagréable ou de choquant. C’est une forme de refus de la réalité, où on s’imagine masquer la chose en masquant le mot. Cette figure est caractéristique du 17ème siècle, enfermé dans son puritanisme religieux. Le discours technocratique actuel l’emploi aussi énormément, mais ce politiquement correct éclate parfois en morceaux.


Toutes ces figures de pensée ne peuvent être interprétées qu’à partir d’une lecture double de l’énoncé : une lecture littérale, production du sens habituel à chaque mot, et une lecture qui interprète, à partir de quelques indices proposés à la perspicacité du lecteur.

Il existe également des figures syntaxiques, comme l’oxymore, l’antithèse (opposition) ; l’anaphore, la périphrase, la gradation (amplification) ; l’anacoluthe, l’ellipse (par rupture) ; le chiasme, l’hypallage (« Mon pauvre ami, je suis bien à plaindre », où « je » est « pauvre », pas l’ami), l’hyperbate (par déplacement).



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dimanche 4 mai 2008

Linguistique : Rhétorique et stylistique (cours Amandine)

Les figures de sens :

Les figures de sens sont également appelées des tropes.
Elles sont définies par la présence d’une tension, d’un conflit entre un sens littéral et un sens discursif. Le sens littéral ne correspond pas au sens construit dans le discours : ex. : « C’est un minéral », pour décrire l’esclave vieil homme.
Ce sont souvent des figures lexicalisées dont on a même plus conscience, comme dans « le moment clé », « le cœur de laitue ». Il existe en fait une gradualité dans les figures : des figures usées dont on ne se rend plus compte en tant que figure, des figures habituelles, et des figures surprenantes. Par exemple, le verbe caracoler prend toujours place dans l’expression « caracoler en tête des sondages », expression dans laquelle on a oublié le sens premier du verbe, à savoir « aire des bonds, des sauts de-ci de-là », en parlant d’un cheval.
Il y a un transfert de signification d’un sens littéral à un sens discursif, et la relation entre le sens 1 et le sens 2 est la base des différents tropes.


Comparaison et métaphore, deux figures de l’analogie :
La comparaison et la métaphore procèdent d’une analogie, du glissement d’une notion ou d’un référent à l’autre. Le glissement de l’un à l’autre est achevé dans la métaphore alors qu’il ne l’est pas dans la comparaison, puisque dans celle-ci les deux entités sont posées de façon distinctes, ce qui est souligné par les outils comparatifs.
La comparaison et la métaphore sont en fait deux processus différents, puisque la comparaison relève d’un « être comme », alors que la métaphore est un « être pour » (pour moi, c’est un porc). Ces deux figures ont été associées en rhétorique à partir de Quintilien, qui dit que la métaphore est une comparaison abrégée, une comparaison sans outils comparatif.

Cette perspective a deux conséquences : la métaphore est une comparaison dont la seule spécificité est l’effacement du « comme », ce qui interdit toute prise en compte d’un référenciation, d’une construction du réel par la métaphore.
La métaphore et la comparaison sont traitées comme proches alors que la comparaison n’implique jamais un transfert de sens, et que la métaphore, au contraire, au regard des réglages conventionnels, implique un transfert de sens effectué

La comparaison, une analogie explicitée :
C’est une mise en relation, un parallèle explicite entre un comparé et un comparant. L’explicitation de la relation est effectuée au moyen d’outils comparatifs (comme, ainsi que, pareil à, semblable à, etc).
Un moyen-terme entre la comparaison et la métaphore est l’utilisation de verbes modalisateurs (sembler, avoir l’air) qui permettent d’introduire une subjectivité énonciative. Quand on dit « L’avion file comme un oiseau », c’est une comparaison, alors que « L’avion semble un oiseau » implique : « pour moi ».

La comparaison canonique comporte trois éléments : un comparé (le conducteur), un comparant (le porc), un outils comparatif. Dans « Paul est gai comme un pinson », gai est le motif commun qui permet d’analogiser comparant et comparé ; ce motif commun peut être exprimé ou absent. Quand le motif est présent, on parle de métaphore in praesentia, alors que l’on parle de métaphore in absentia quand il n’est pas exprimé.



La comparaison peut avoir diverses fonctions :
fonction ornementale, esthétique : discours poétique, description : on cherche à faire joli ;
fonction argumentative : elle aide à une démonstration et a alors une valeur de vérité : elle fait partie des lieux communs ;
construction d’un monde imaginaire.

La comparaison est actuellement en perte de vitesse dans la littérature, où l’on préfère employer la métaphore, alors qu’elle était la figure par excellence des 17 et 18ème siècles par exemple. Par contre, elle est partie intégrante du discours oral, où elle favorise l’expressivité.


La métaphore, une construction personnelle du monde :
Dans le système rhétorique, la métaphore est, selon, la définition de Fontanier, un trope, une figure de sens, qui consiste à « présenter sous le signe d’une autre idée plus frappante ou plus connue qui d’ailleurs ne tient à la première par aucun autre lien que celui d’une certaine conformité ou analogie ». On voit donc qu’ici c’est un trope qui se fait par ressemblance, ce qui rejoint Quintilien et sa « similitudo brevior », et que de plus la base la métaphore est une comparaison.
Toujours selon cette définition, et contrairement à la métonymie et à la synecdoque, deux figures isotopiques, la métaphore effectue un rapprochement entre deux domaines notionnels, et est donc une figure allotopiques.

On regroupe en fait sous un même nom, métaphore, deux processus différents : la métaphore in praesentia et la métaphore in absentia.

Métaphore in absentia :
Il y a effacement complet du comparé, et elle relève donc de l’énigme, elle demande un exercice intellectuel de reconstruction. Ainsi, dans les deux vers :
« Ce toit tranquille où marchent des colombes
Entre le pins palpite, entre les tombes »
On a deux difficultés à comprendre de quoi il s’agit. En fait, le toit désigne la mer, puisque Valéry dit ailleurs que, pour qui sait regarder « La mer est debout au fond des yeux », et est donc un mur qui s’impose, une pure verticalité (où Valéry essaie donc de retrouver la vision primitive des choses, sur laquelle on applique du savoir : la mer est horizon, ligne, platitude, puisqu’il dit également que « Nous ne savons plus voir ce que nous voyons »). Les colombes désignent elles les bateaux, puisque les barques, blanches, apparaissent très loin du Mont Saint Claire, et qu’elles épousent le mouvement de la mer et en « picorent » la surface.
On voit ici que la métaphore est le rendu d’une expérience corporelle et personnelle par laquelle le corps parle.

Métaphore in praesentia :
Le comparé et le comparant entretiennent une relation cotextuelle, comme dans ce vers de Cendrars « En Flandres le soleil est un fumeux quinquet », où un quinquet est un fanal.

On peut également relever des vers d’Apollinaire :
« Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin »
« Soleil cou coupé »
Le cou coupé est en fait un minuscule oiseau africain au ramage rouge, qui la particularité de voler en pure verticalité : il s’élève ainsi dans le ciel comme le soleil matinal sur Paris. Le dire est ici rattaché à du vécu historique, avec la guillotine, comme Eco était rattaché à son vécu personnel d’italien à Paris dans son explications des vers de Valéry, dont il disait que la mer au soleil était grise comme les toits d’ardoise français, d’où la comparaison, alors qu’il n’y a pas de toits d’ardoise dans le sud.

La métaphore in praesentia peut présenter différents schémas syntaxiques :
structure attributive : « La nature (N1) est (verbe attributif) un temple (N2)… » ;
structure appositive : « Bergère, ô tour Eiffel… » ;
structure déterminative : « Le troupeau (N1) des (de) ponts (N2) ».


Effets de sens de la métaphore :
Elle abolit les catégories classiques, elle recatégorise les évènements du monde et n’a donc absolument rien à voir avec la comparaison : c’est de l’ « être pour » et non pas de l’ « être comme ». On ne peut pas la traiter comme une figure de l’analogie.
Le passage peut se faire entre différentes catégories :
du non humain à l’humain, ou l’inverse : « Un troupeau de vieillards jacasseurs (pies) lents (bœufs) et doux. » ; « La champignonnière des figures écarquillées. » (« écarquillées » est une synecdoque) ; « Le feu dans l’âtre soufflait et usait ses griffes rouge contre le chevron de la soupe. », « Quand il a les mains… c’est un arbre. » ; « C’est un minéral de patiences infinies » ;
du concret à l’abstrait, ou l’inverse : « l’âme des pieds » pour les violons ; « le conseiller des grâces » pour le miroir ; « les feux de l’amour »,… Ce système est très courant dans le vocabulaire précieux.

Les synesthésies : C’est une association de sensations différentes, et donc une métaphore poussée à l’extrême, comme dans ces vers de Rimbaud où se mêle odorat, goût et vue, et qui créent une réelle métamorphose du réel, comme une nouvelle cosmogonie rimbaldienne :
« Il écoute chanter leurs haleines craintives 
 Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés. »

La métaphore filée : C’est une métaphore qui se prolonge au-delà de la phrase, comme dans Le bateau ivre, où la métaphore maritime, annoncé dans le titre même, va jusqu’à la fin du poème.
« Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames, 
 Enlever leurs sillages aux porteurs de cotons, 
 Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes, 
 Ni nager sous les yeux horribles des pontons. »
Fonctions de la métaphore :
Une fonction d’ordre poétique : elle est la grande figure de l’imaginaire poétique du vingtième siècle, alors qu’elle est bannie de la langue classique qui lui préfère la synecdoque et la métonymie. Elle se retrouve particulièrement chez les surréalistes ;
Une fonction expressive : elle est très présente dans le discours quotidien, surtout en argot, où elle permet alors de dire une réalité de la façon dont on la voit ;
Une fonction cognitive : Dans les discours scientifiques, totalement métaphorique, elle sous-tend une grande partie de notre façon de conceptualiser les évènements. Cela se retrouve aujourd’hui dans le vocabulaire de l’informatique, qui est concrétisé par l’emploi de la métaphore : souris, bureau, menu, fenêtre,…


Remarques sur la métaphore :
Une métaphore usée tombe dans le fond commun de la langue, et perd son caractère inédit, comme par exemple « Au cœur de », « la clé du problème »…
La catachrèse : elle permet de combler un trou de la langue : la métaphore désigne alors une chose pour laquelle on a aucun mot : les ailes du moulin, de la voiture, du nez ; la feuille de papier ; un pied de table.
Le cliché : certaines métaphores deviennent des clichés, tel « l’or des blés », « le moutonnement des vagues », « le manteau de neige. »

Autre figures de l’analogie :
Allégorie et prosopopée :
L’allégorie personnifie une idée abstraite et la met en scène. Elle a toujours une portée symbolique, comme quand Baudelaire dit « Ma douleur, donne-moi la main… ». Elle est très courante au 16ème et 17ème siècles, tout comme au Moyen Âge, où un livre comme
Le roman de la rose est entièrement fondé sur elle. D’Aubigné l’utilise également, mettant notamment en scène la Justice, dans Les tragiques.

La prosopopée fait parler une abstraction, qu’on a précédemment personnifié. C’est en fait une métaphore initiale, qu’on rend plus vivante en lui donnant la parole. La matérialisation du concept passe alors par l’allégorie et ce concept est actualisé par la parole.

Métonymie et synecdoque :
En rhétorique habituelle, ce sont deux figures proches. Ces deux tropes reposent sur des relations réelles entre référent et signe ; ainsi, le signe « voile » fait partie du référent « bateau ». Il y a un rapport réel entre les deux éléments convoqués.
C’est alors la nature de la relation qui est différente, selon que l’on est une métonymie ou une synecdoque. Le rapport métonymique est un rapport de contiguïté, tandis que le rapport synecdochique est un rapport d’inclusion.

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Quand on dit « boire une bonne bouteille », il s’agit d’une métonymie : on boit le vin, le contenu. Quand on dit « acheter une bonne bouteille », il s’agit d’une synecdoque : on achète contenu et contenant.
Fontanier dit alors que ces figures instaurent un rapport « de correspondance, de connexion, ou de ressemblance ». La métonymie et la synecdoque sont des connexions.

La métonymie :
Fontanier définit la métonymie comme une « désignation d’un objet par le nom d’un autre objet qui fait comme lui un tout absolument à part mais qui lui doit ou à qui il doit lui-même plus ou moins ou pour son existence ou par sa manière d’être. »
Les deux réalités qui fondent la métonymie sont donc autonomes : on dit l’une pour dire l’autre, et c’est donc une façon oblique de s’exprimer. La métonymie est le glissement logique d’une réalité à une autre. La distorsion peut se faire selon différents types de glissement logique :
l’effet pour la cause : trembler pour avoir peur ; refroidir quelqu’un pour tuer ;
la cause pour l’effet (c’est plus rare) : ses bontés pour ses actes de bonté ;
le signe pour la chose : ployer sous les lauriers pour désigner la victoire ; le trône pour le roi ou la monarchie ; la couronne ou le sceptre pour le pouvoir royal ; le drapeau tricolore pour la France ; le sabre et le goupillon pour l’armée et l’église, ainsi que Le rouge et le noir ; Le lys dans la vallée pour la femme ;
l’antonomase : un nom propre pour un nom commun : un tartuffe (archétype de l’hypocrisie), un don juan, une Célimène (la coquette épouvantable) ; le lieu pour les personnes ou les objets : Londres a dit que…, Un bon bourgogne ; un nom commun devenu nom propre : le Roi Soleil, la Vierge, Dieu ;
la qualité pour l’objet : une vraie beauté pour une belle fille ;
le contenant pour le contenu : une bonne bouteille, prendre un verre ;
l’instrument pour la personne : le premier violon était malade, un bon fusil pour un bon chasseur, une bonne fourchette pour un gros mangeur ;
le contenu pour le contenant : la ville est tranquille pour les habitants sont tranquilles.

La synecdoque :
Fontanier la traite comme « la désignation d’un objet par le nom d’un autre objet avec lequel il forme un ensemble, un tout ou physique ou métaphysique. C’est un trope par lequel on dit le plus pour le moins ou le moins pour le plus. »

Une synecdoque peut correspondre à un mouvement de particularisation :
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le singulier pour dire le pluriel, un exemplaire d’un tout pour dire le tout : « La française est coquette », « Il a terrassé l’ennemi » ;
la partie pour le tout : « Et les voiles au loin descendaient vers Harfleur. » ; « Un arbre, par-dessus les toits berce sa palme. » On interprète habituellement ces deux phrases comme des synecdoques. Cependant, cela peut être aisément remis en question. En fait, la voile est la seule chose saillante dans le paysage, et exprime donc le point de vue du personnage ; ce n’est en aucun cas une jolie figure, mais seulement une construction du point de vue de l’énonciateur sur le monde. De la même façon, Verlaine, en prison, ne voit qu’une des branches de l’arbre, dans son petit fenestron : c’est donc sa vision du monde, là encore par l’élément saillant, qui est construite, et non pas une figure. On est alors en droit de se demander s’il existe de vraies synecdoques. On trouve de nombreux exemples dans la littérature classique, mais ils peuvent toujours être interprétés différemment : « J’ignore le destin d’une tête si chère. », « avoir un toit » pour « une maison », « mon sang » pour « mon fils ».

Une synecdoque peut également correspondre à un mouvement de généralisation :
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le tout pour la partie : La France a décidé de… ;
la matière pour le produit ou l’objet : investir dans la pierre (l’immobilier), le fer pour l’épée, l’argent pour la pièce en argent :
le terme générique pour dire le spécifique : les ruminants sont dans le pré ; pour les vaches.

Motif de l’utilisation de ces deux figures :
Elles ne sont pas le reflet d’une créativité, car sont seulement un transfert limité entre deux domaines notionnels proches. On oublie en fait qu’il s’agit de figure quand on dit « Viens prendre un verre ». Si tant est qu’on les appelle « figures », elles sont extrêmement codées et ne demandent aucun effort de compréhension, puisqu’elles avoisinent souvent le cliché ou la catachrèse. Bien que la littérature contemporaine préfère la métaphore, la synecdoque et la métonymie sont des grandes figures de la langue classique.
Ces figures permettent des effets discursifs variés. Ainsi, dans l’exemple « Par ennui, il suivit un jupon qui passant dans la rue », il y a une forte visée dévalorisante où la femme n’est prise en compte que pour son corps.
Elles peuvent également avoir une visée dramatisante, comme quand l’on désigne un dealer sous le nom de « marchant de drogue ».
Enfin, la métonymie et la synecdoque effectuent une manipulation de la réalité, puisque la rapport manifesté est un rapport de chose à chose, et non pas de concept à concept : ce ne sont donc pas des figures sémantiquement complexes.














L’adjectif pour synecdoque est synecdochique.
Paul Valéry, Le cimetière marin
Voir le dernier vers du poème : « Ce toit tranquille où picoraient des focs! »
Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France

Premier et dernier vers du poème Zone, introducteur du recueil Alcools
Victor Segalen, Equipée.
« La curiosité chinoise donne envie de cracher à travers la champignonnière des figures écarquillées. », Victor Segalen, texte cité.
Jean Giono, Regain.
Patrick Chamoiseau, L’esclave vieil homme et le molosse.
Arthur Rimbaud, Les chercheuses de poux
Charles Baudelaire, Recueillement.
Quand le nom s’écrit avec une minuscule, il est passé dans le langage commun, et peut donner un nom, comme le donjuanisme. Quand il a encore sa majuscule, c’est qu’il n’est pas encore banalisé : une Célimène ne s’emploie que dans un milieu littéraire.
Victor Hugo, Demain, dès l'aube..., dans Les Contemplations.
Paul Verlaine, Sagesse.
Jean Racine, Phèdre.
On peut par exemple considérer ici, dans un contexte 17ème, l’importance de la filiation, notamment avec le droit d’aînesse, etc.

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