Linguistique-L'indicatif
L’indicatif :
Définition préalable :
Définition de l’indicatif :
En grammaire traditionnelle, il indique la réalité du temps objectif. Selon Guillaume, c’est la chronothèse in esse, en être : c’est la représentation du temps en réalité. L’indicatif marque le procès comme inscrit dans la réalité temporelle, et nous donne donc une représentation « objective » du temps : quelque soit le discours, le point de référence qui sert à calculer la position du procès dans le temps est le présent de l’indicatif. Ce présent, présent de celui qui parle ou qui écrit, celui du locuteur, est le repère subjectif qui nous permet en fait d’objectiver le temps.
On peut noter qu’il n’y a pas que les tiroirs verbaux pour dire le temps. Les jours, les mois, les saisons, le nombre des années, ont aussi cette fonction. Là encore, chaque grande civilisation à son point de repère, arbitraire, à partir duquel elle objective le temps sous la forme d’un calendrier.
Epoques et aspects :
Il y a trois époques fondamentales, à savoir le passé, le présent et le futur, mais il y aura ensuite plus de tiroirs verbaux que d’époques : ainsi, le passé simple et l’imparfait expriment le passé. Les formes simples du passé sont le passé simple et l’imparfait, le présent n’a qu’une forme, et le futur connaît le futur simple et le conditionnel.
La présence de ses différents tiroirs verbaux s’expliquent par des différences d’aspects entre chacun d’eux, dans la même époque. L’aspect est en fait peu marqué en français, puisqu’on a juste de l’accompli et du non-accompli.
Valeur d’emploi ou aspect :
Les valeurs d’emploi dépendant de trois facteurs principaux :
le sens du verbe et la durée représentée : Jeanne éternue, Jeanne accouche, Jeanne grandit, correspondant à trois durées très différentes. Le même verbe peut d’ailleurs avoir différentes dures, comme dans « Le cycliste franchit la ligne d’arrivée » et « Le cycliste franchit un col de dix kilomètres. » ;
les adverbes et les compléments circonstanciels de temps, qui contribuent à la valeur temporelle du verbe : Je viens ; Je viens demain ; Je viens tous les jours (valeur itérative, ici !) ;
l’alternance dans la phrase ou dans le texte entre les divers tiroirs verbaux : imparfait contre passé simple dans une narration, par exemple.
Le présent :
Les enfants vivent dans un éternel du présent, qui fait que l’opposition entre passé, présent et futur est dure à acquérir.
Sur un plan linguistique, il faut comprendre que la valeur de base du présent est la conversion du futur en passé, pour comprendre les différents emplois du présent. Cette conversion, permanente et instantanée, montre qu’à tout instant, que nous le voulions ou pas, que nous le sentions ou pas, le temps passe, et notre futur devient notre passé.
Selon le contexte et le cotexte, les différentes valeurs du présent se feront par rapport aux proportions de futur et de passé incluses dans le présent, qui seront plus ou moins importantes.
Le présent ponctuel :
Si le présent est restreint au moment de l’énonciation, que la part de présent et de futur est nulle, que l’épaisseur temporelle est égale à zéro, on a un présent ponctuel, comme dans « Paul tombe ».
Les verbes performatifs représentent cette absence d’épaisseur temporelle : l’acte de langage et l’acte physique sont absolument simultanés.
Le présent à valeur continuative :
Le présent peut également avoir une valeur continuative, avec une certaine épaisseur temporelle. On prend le temps de l’énonciation, T0, et une partie de ce qui l’entoure. Cela peut être plus ou moins élargi, de quelque instants à l’éternité. « La terre tourne autour du soleil » (durant un temps qui pour nous est « de tous temps »), « Je travaille » (par exemple, pendant deux heures), « Marie a les yeux noirs » (toute la durée d’une vie).
Il existe un cas particulier de cette valeur élargie du présent, qui est le présent de vérité générale, ou présent gnomique. Il est présent dans les proverbes, les maximes, les moralités, mais aussi chaque fois que l’on se situe dans l’universel, dès qu’un procès semble valable en tous temps et en tous lieux.
Un autre effet de sens particulier de ce présent à valeur continuative est la présent itératif, dans « Ma mère me téléphone tous les jours. » : le procès, au lieu d’être permanent, est régulièrement recommencé.
Les emplois rhétoriques du présent :
Ce sont des métaphores syntaxiques par lesquelles on va abolir la distance entre l’époque représentée par l’énonciation et le moment de cette énonciation : c’est une distorsion temporelle.
Le présent de narration :
Il ne peut se substituer qu’au passé simple, et intervient toujours au milieu d’un récit au passé, où surgit tout à coup un présent alors que l’histoire continue dans son passé très lointain. La Fontaine l’emploie beaucoup, comme dans La mort et le bûcheron. Cela permet de rendre la scène plus vivante, plus immédiate, et plus vive au lecteur.
Le présent historique :
Des faits totalement révolus et coupés du moment de l’énonciation sont mis au présent : « Napoléon gagne de nombreuses batailles, puis fut fait prisonnier à Sainte Hélène. Il meurt en 1821. » On présentifie l’événement, avec les mêmes valeurs que le présent de narration.
Le présent d’hypothèse :
Il peut apparaître dans un énoncé au futur ou concernant le futur : « Si je gagne au loto, je… »
Le présent prophétique :
C’est un présent qui indique un futur très lointain. Il est utilisé dans la Bible, ainsi que dans les tragédies bibliques de Racine.
Le présent dilaté :
Le passé immédiat :
On ne prend en compte que la part de passé, et on met cela au présent car le procès est à peine terminé, et est encore perçu comme actuel dans ses conséquences. Dans « Paul sort à l’instant », Paul est déjà sorti.
Il apparaît également dans une périphrase verbale au présent, venir de : « Paul vient de… »
Le futur proche :
On ne prend en compte que la part de futur, et on met au présent car le procès est imminent ou perçu comme inéluctable, comme déjà présent. Dans « Paul sort dans un instant », il n’est pas encore sorti ; quand je dis « Je déménage dans six mois », je n’exprime pas un projet vague, mais quelque chose qui est déjà décidé, organisé, daté.
Il apparaît également dans une périphrase verbale au présent, aller : « Je vais venir ».
Le sens fondamental du présent :
En marge de ses emplois, il ne faut pas oublier que le présent, dans les récits au passé, est le temps des paroles ou des pensées rapportées.
Le présent a de plus un aspect sécant, sauf le présent de narration, qui a un aspect global.
L’imparfait :
Il a un aspect sécant, sans borne temporelle, en cours de développement : on voit le procès de l’intérieur, déjà commencé et encore continué, sans marques de limites initiales ou finales. L’imparfait renvoie à une époque coupée du locuteur, et le procès est presque toujours vu comme « en train de », dans son déroulement. C’est cette idée d’inachèvement qui est marquée étymologiquement dans le mot « imparfait ». Ainsi, on oppose « A quinze ans, il travaillait déjà ; à 60 ans, il travaillait encore » à « Il travailla à quinze ans. »
Cette valeur fondamentale de procès dans son déroulement et sans limite initiale ou finale explique les trois emplois les plus fréquents de l’imparfait :
L’imparfait d’arrière-plan :
Une action en cours lors de la survenue d’un autre procès : « Il travaillait quand le téléphone sonna. » ;
Une valeur descriptive dans un récit au passé : « Il était une fois… »
L’imparfait d’habitude :
Quand il alterne avec le passé simple, l’imparfait peut suggérer la répétition d’un procès dans le temps : « Il y a dix ans, je prenais le bus tous les jours. »
L’imparfait du discours rapporté :
Dans un discours rapporté indirect, l’imparfait représente le présent du discours direct. Quand je dis « Il déclara : « J’ai faim. ». », au discours indirect j’aurai « Il déclara qu’il avait faim ». Dans le discours indirect libre, l’imparfait aura cette même fonction de « remplacement » du présent : « La dame au nez pointu répondit que la terre était au premier occupant. C’était un beau sujet de guerre qu’un logis où lui-même n’entrait qu’en rampant. »
L’imparfait de mise en perspective :
C’est un emploi beaucoup plus rare de l’imparfait, que l’on voit par exemple dans « 5 minutes après, le train déraillait. » ou dans « Le 14 juillet 1789, les français prenaient la Bastille. » Il y a une locution qui précise la mise en perspective, avec la date ou la durée temporelle. C’est ici un imparfait narratif.
Cet imparfait avec mise en perspective peut également avoir une valeur d’hypothèse : « Cinq minutes de plus, et je manquais mon train. »
L’imparfait de distanciation :
C’est un imparfait de politesse, avec une distance hiérarchique et sociale : « Je venais vous demander un petit service », pour dire : « Je viens ».
Cet imparfait de distanciation peut aussi prendre la forme d’un imparfait hypocoristique, ou imparfait caressant : « Comme il était mignon, mon bébé », ou « Comme ils étaient sages, mes étudiants. », avec un rapport d’infériorité qui se crée.
Le passé simple :
Le passé simple est très contraint dans un genre spécifique du récit, à l’écrit, dans la narration. Il s’emploie beaucoup plus aux rangs 3 et 6 qu’aux autres. Cependant, cet usage est récent, et jusqu’au 19ème le passé simple était le tiroir verbal le plus utilisé pour représenter l’époque passée : « Que fîtes-vous hier, Marie ? ».
Le passé simple sert à représenter un procès passé orienté vers sa postérité, en conquête de futur. Il a un aspect global, borné, avec des limites initiales et finales, et il est donc absolument incompatible avec des périphrases aspectuelles du type « être en train de » ou des adverbes du type « déjà ».
Le tiroir verbal par excellence du texte narratif :
Le passé simple marque en fait une succession chronologique d’évènements, et économise les marqueurs de succession : « Il poussa la porte, déchargea son révolver et s’enfuit. »
Passé simple et aspect semelfactif :
Chaque procès ne se produit qu’une seule fois.
Jusqu’au 19ème siècle, le passé simple s’emploie couramment, à l’oral, à toutes les personnes, pour tout procès éloigné de plus d’une nuit par rapport au présent du locuteur. Aujourd’hui, on ne l’emploi que dans le récit, et plus facilement aux rangs 3 et 6.
Le futur :
C’est un procès à venir, orienté vers une postérité, avec un aspect global. Il a une valeur de grande probabilité, même si le moment est coupé de l’époque présente. Guillaume l’appelle donc futur catégorique.
La valeur de grande probabilité :
C’est un pari sur l’avenir, et l’emploi du futur représente le procès comme catégorique : « Je suis sûre qu’elle viendra. »
L’emploi rhétorique d’anticipation, ou futur historique :
Dans les récits historiques, le futur rend compte d’un procès passé qui apparaît comme futur par rapport au repère de celui qui raconte : « En 1815, Napoléon fut déporté à Sainte Hélène. Il y a mourra en 1821. »
La valeur injonctive :
Elle peut être plus ou moins fortes. Dans le Décalogue, avec « Tu ne tueras pas, ect », elle est très forte, alors qu’elle est atténuée dans « Vous étudierez les tiroirs verbaux dans le texte. »
L’atténuation par distanciation :
« Ca vous fera quinze euros » revient à « donnez moi quinze euros tout de suite ». Cette valeur doit être rattachée à des formes du types « Je dirai que… » : j’atténue mon jugement par le futur.
Le conditionnel :
Il représente un procès à venir sous un aspect sécant, donc en cours de déroulement, vu de l’intérieur, sans marquer ses limités initiales et finales. Sa valeur d’hypothèse fait que Guillaume le nomme futur hypothétique.
Valeur fondamentale de l’hypothèse :
Le meilleur exemple est l’emploi des enfants : « Tu serais la princesse et je serais le chevalier ». Mais on l’emploie aussi dans des contextes beaucoup plus sérieux, chaque fois que nous élaborons ou discutons un projet. Cette valeur basique se voit dans les hypothétiques en si : « Si tu rentrais tôt, nous irions au cinéma ».
Rapprochement du conditionnel et de l’imparfait :
Ce fonctionnement de base, ainsi que le partage de désinences identiques, rapproche les deux tiroirs verbaux : c’est la valeur de futur du passé : « Je savais que vous viendriez », « Je sais que vous viendrez ».
Dans un récit au passé, il permet donc des anticipations, des prolepses, selon le terme de Genette.
Dans le discours indirect :
Le conditionnel a cette même valeur de futur. Par exemple, dans Mme Bovary : « Elle n’avait pourtant qu’à commander, et il se chargerait de lui fournir ce qu’elle voudrait ».
Le conditionnel journalistique :
Il est de plus en plus fréquent et est une modalisation de l’assertion imputée à un autre énonciateur, qui amène une distance énonciative. « La police pourrait donner l’assaut cette nuit » : la source n’est pas confirmée.
La valeur d’injonction atténuée :
« Auriez-vous l’heure s’il vous plaît ? » : « donne moi l’heure ! ».
Les tiroirs composés :
Ils ont trois valeurs fondamentales :
l’aspect résultatif : ils marquent le résultat du procès par rapport à une forme simple, valeur particulièrement sensible avec les verbes intransitifs auxiliés par « être » : « Il est venu » entraîne « il est là », « il est né » entraîne « il est vivant » ;
l’aspect accompli : toutes les formes composées sont accomplies ;
la valeur d’antériorité , en association avec des formes simples : « Quand il eut mangé, il repartit. »
Chaque tiroir va alors permettre des effets particuliers à partir de ces valeurs communes.
Le passé composé :
C’est un procès antérieur à l’actualité mais dont les conséquences se prolongent au moment de l’énonciation : « Les plombs ont sauté, il n’y a plus d’électricité. »
A l’oral, aujourd’hui, il remplace totalement le passé simple, et même à l’écrit (sauf en littérature), et prend donc la valeur coupée du présent, de narration, du passé simple.
Le plus-que-parfait :
Il marque l’antériorité, et a aussi les effets de sens de l’imparfait : « J’avais espéré faire le voyage d’une seule traite, mais je fus obligé de m’arrêter. » Dans des récits au passé, le plus-que-parfait est l’instrument par excellence de l’analespe, le flash-back. Dans le discours indirect ou indirect libre, il est la conversion du passé composé : « J’ai travaillé » donnera « J’affirmais que j’avais travaillé. »
Le passé antérieur :
Il marque l’antériorité, comme dans « Après qu’il eut travaillé… ». Très rarement, on le trouve en emploi indépendant, sans rien d’autre : « Et le drôle eut lapé le tout en un instant » (La Fontaine) avec un effet d’accélération du récit.
Le futur antérieur :
Il a parfois une valeur de probabilité : « Paul n’est pas là. Il aura raté son train. »
Le conditionnel passé :
Il amplifie la valeur hypothétique de la forme simple en indiquant une hypothèse qui a cessé d’être : les chances de réalisation du procès sont caduques. « Si j’aurais su, j’aurais pas v’nu. »
Le présent est donc une forme temporelle associée à deux aspects, l’accompli (J’ai chanté) et le non-accompli (Je chante).
Le passé a deux formes temporelles, chacune associée à deux aspects. Le passé simple s’exprime par le passé simple et le passé antérieur, l’imparfait par le plus-que-parfait et l’imparfait.
Le futur a deux formes temporelles, le futur catégorique (futur simple et futur antérieur) et le futur hypothétique (conditionnel et conditionnel passé).
De plus, il existe des formes surcomposés, avec « Quand il a eu fini », « Quand il aura eu fini », ou encore « Quand il avait eu fini ».
L’indicatif est donc un mode extrêmement riche.
Comme nous Jésus Christ.
Qui propose une représentation différente de l’époque future mais n’en est pas moins un tiroir verbal de l’indicatif.
Très utilisés dans les sacrements : on dit et on fait en même temps : « Je vous bénis ».
« Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée, Sous le faix du fagot aussi bien que des ans Gémissant et courbé marchait à pas pesants, Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée. Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur, Il met bas son fagot, il songe à son malheur. »