jeudi 8 mai 2008

morpho-syntaxe- le discours rapporté

LE DISCOURS RAPPORTE :

C’est une question importante, puisqu’elle a des implications dans la syntaxe de la phrase, une place fondamentale dans l’analyse stylistique, et qu’elle est la dimension la plus visible de la polyphonie, du dialogisme (c’est la même chose dans un roman).

Rappels préalables sur l’énonciation : c’est l’acte de produire un ensemble de signes que l’on va appeler un énoncé. Il est produit par l’énonciateur et reçu par l’énonciataire.
Il ne faut pas confondre énonciateur et locuteur : l’énonciateur, dans Bouvard et Pécuchet, est le narrateur, celui qui gère le récit, puis il y a de nombreux locuteurs qui assument des paroles, principalement Bouvard et Pécuchet. L’énonciateur n’est jamais le locuteur, si ce n’est de l’ensemble du texte. Ainsi, Flaubert est l’énonciateur narrateur qui rapporte les voix des locuteurs ; il y a donc double énonciation, celle du narrateur et celle des personnages.
Le narrateur, ou instance narrante, est la voix qui assume un récit fictionnel. Il n’est pas identifiable avec l’auteur. Ainsi, Balzac est ultraconservateur mais ses narrateurs peuvent avoir d’autres positions politiques. Par un effet de réel, on est tenté de penser que le « je » renvoie à l’auteur, comme dans Jacques le fataliste, avec les interventions du narrateur à la première personne.
Enoncé enchâssant et discours rapporté : le discours rapporté est un énoncé enchâssé, et l’énonce enchâssant englobe ce discours rapporté. Bakhtine, dans Esthétique et théorie du roman, parle de dialogisme : le discours rapporté est l’enchâssement dans l’énoncé assumé par un premier énonciateur (E, énonciateur enchâssant) d’un énoncé d’un autre locuteur (e, énonciateur enchâssé). Dans un roman, E sera le narrateur, et e la voix d’un personnage ; quand un personnage rapporte la voix d’un autre, on a e’. Au théâtre, il y a plusieurs énonciateurs E juxtaposés.

Il y a des discours extériorisés, discours rapportés : « Paul dit que… », et des discours intérieurs, énoncés enchâssés n’existant pas nécessairement à l’oral : « Paul pensait que… ».
Il existe en fait différents types de discours rapportés, avec beaucoup de possibilités :
le DD : discours enchâssé en juxtaposition avec le discours enchâssant ;
le DI : succession de deux énonciations, l’une étant subordonnée à l’autre : « Paul dit que… » ;
le DIL et le DDL : E intègre à son discours le contenu de e sans préciser qu’il s’agit de e ; il y a fusion des voix ;
le discours narrativisé : E donne une représentation globale de la parole de e : « Bouvard et Pécuchet discutaient. » : on sait qu’il y a énonciation de e, mais on n’en connaît pas le contenu.

Le discours indirect :
Il a deux caractéristiques discriminatoires :
la présence d’un verbe de paroles ou de pensées qui va introduire un acte d’énonciation. Dire sera très neutre, tandis que prétendre marquera un positionnement du narrateur ;
la présence d’un complément de ce verbe : beaucoup de propositions subordonnées en que, mais aussi des infinitifs (« Monseigneur ordonna au curé de se tenir tranquille », à la frontière avec le discours narrativisé), ou même des phrases du type « Bouvard déclara ses bibelots stupides », là aussi à la frontière avec le discours narrativisé, puisqu’on ne sait pas la forme exacte qu’ont pris les propos de Bouvard.

D’un point de vue grammatical, les marques des personnes, de l’espace et du temps ne sont pas celles de e mais celles de E. Ces marques sont en fait transposées dans le cadre énonciatif de E, cadre qui sert de repérage pour les deux discours : « Paul a dit : « Je viendrai ici demain » » ; « Paul a dit qu’il viendrait là le lendemain. »
De plus, le discours indirect unifie les registres de langue : il gomme les interjections, et les mots employés vont correspondre à l’idiolecte de l’énonciateur enchâssant.

Le discours direct :
Il est la forme la plus marquée du discours rapporté, dans la mesure où le DD est marqué par des tirets, des guillemets, parfois des italiques, et qu’il conserve son système énonciatif propre, qui va alors s’opposer à celui du narrateur.
Le roman présente un enchaînement des tours de parole. Il n’y a pas forcément de phrase rectrice introduisant le DD (du type : « Il dit : « … »), ce qui allège le dialogue. Par contre, les tirets et les guillemets sont obligatoirement présents.
Le discours direct est formellement autonome par rapport au discours enchâssant, et une rupture de registre est possible entre ces deux discours.

Le discours indirect libre :
C’est une configuration discursive qui correspond aux marques du DI sur le plan temporel et personnel, mais un DI dont on aurait supprimé la proposition rectrice. Ainsi, dans L’éducation sentimentale, il est écrit que Frédéric, quand il rencontre Mme Arnoux, « aurait voulu connaître… » : on ne sait pas s’il s’agit de la voix du narrateur ou de celle de Frédéric.
Dans L’éducation sentimentale toujours, on trouve : « Mademoiselle n’était pas sage, bien qu’elle eut sept ans bientôt. », qui sont les paroles rapportées de la gouvernante à la fille de Mme Arnoux ; le DD donnerait : « Mademoiselle, vous n’êtes pas sage, bien que vous ayez sept ans bientôt. »
On voit qu’il n’y a pas de rupture sur le plan formel avec le récit romanesque, et on doit donc se demander qui parle quand on a affaire à du DIL.
Dans un discours indirect avec « que », on ne conserve pas les marques affectives du DD (exclamations, interjections), traces énonciatives du locuteur cité que l’on conserve avec le DIL, ce qui lui confère une grande souplesse.
Le DIL dans le texte au présent implique une modification des pronoms personnels et possessifs qui sont transposés dans le cadre énonciatif du locuteur citant : « Elle veut tout savoir de ma maladie. Suis-je vraiment rétabli ? Ai-je revu le docteur ? Caroline a-t-elle su m’entourer sans trop m’encombrer de sa présence ? » donnerait en DD : « Es-tu vraiment rétabli ? etc ».
Le discours indirect libre est abondamment utilisé en littérature moderne, et il crée de vertigineux effets pluri vocaux.

Le discours direct libre :
Il est encore plus utilisé en littérature moderne, et est encore plus complexe. Formellement, c’est un discours direct non marqué, sans propositions introductrice et sans marques typographiques isolant l’énoncé. Il y a juxtaposition pure de deux systèmes sans aucun marqueur. Les repères temporels ne vont pas coïncider, ni les repères personnels. Pour le reconnaître, il faut essayer de mettre des guillemets et voir si cela est possible. « (…) lui demanda ce qu’elle faisait là toute seule et ce qu’elle avait à pleurer. Hélas, monsieur, ma mère m’a chassée du logis. » : c’est du discours direct libre où l’identité de l’énonciateur n’est pas trop difficile à déchiffrer.
Bouvard et Pécuchet : « Ils consultèrent le guide du voyageur géologue par Bonnet. Il faut avoir premièrement un bon havresac de soldat, puis une chaîne d’arpenteur… » : on ne sait pas si ce sont les mots exacts du guide ou Bouvard et Pécuchet qui rapportant. On peut même entendre la voix du narrateur E.

L’îlot textuel :
C’est le fait d’isoler par des guillemets ou des italiques un mot ou un syntagme de e dans son E.

La modalisation en discours second :
C’est une appellation qui regroupe des formes grammaticales ayant pour effet d’indiquer la parole d’un autre énonciateur :
MDS sur le contenu : « Jean aurait fait une longue promenade » ; « Jean a fait une longue promenade, selon Pierre » ; « Jean a fait une longue promenade, paraît-il » ; « Il paraît que Jean a fait une longue promenade » ;
MDS sur l’expression : « Jean a « vadrouillé », comme on dit. »





Troyat.
Perrault, Les fées.

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